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Archéologie poitevine
20 octobre 2013

Les précieuses leçons d'histoire d'Ida Grinspan

Deux-Sèvres, L'invitée de la semaine

20/10/2013 05:38
Visiblement très émue, Ida, mardi à Jean-Macé : « Les palmes, je pensais que c'était réservé aux enseignants ! ».                                                               
Visiblement très émue, Ida, mardi à Jean-Macé : « Les palmes, je pensais que c'était réservé aux enseignants ! ».

Mardi à Niort, cette formidable mémoire vivante de l’inconcevable a reçu les palmes académiques. Pour elle, c’est la plus belle des reconnaissances.

          

Infatigable Ida ! Au camp d'Auschwitz, où elle a été déportée à l'âge de 14 ans par les nazis, elle avait fait la promesse à ses camarades d'infortune de raconter l'enfer, si elle en revenait. Elle en est revenue et ne cesse depuis d'honorer sa parole. C'est auprès des plus jeunes, ceux qui feront l'humanité de demain, qu'inlassablement elle se rend dans les établissements scolaires pour y dire l'indicible, l'inconcevable. Mardi, au lycée Jean-Macé de Niort, c'est cet incomparable mérite pédagogique qui a été récompensé avec l'attribution des palmes académiques à Ida Grinspan.

Que représente pour vous une telle distinction ?

« Quelque chose d'extraordinaire ! J'ai été très touchée lorsque j'ai appris qu'on souhaitait me remettre ces palmes. C'est une vraie reconnaissance du travail que je fais. Je suis déjà chevalier de la Légion d'honneur, ce dont je suis heureuse, mais je remarque aussi qu'elle se donne aujourd'hui aux chanteurs, aux footballeurs… cette distinction perd de son sens. Pour moi, les palmes, c'est infiniment plus précieux. Je ne m'attendais pas du tout à ça, je pensais que c'était réservé aux enseignants ! On m'a donné le beau pin's qui représente les palmes en miniature et je l'ai aussitôt accroché à ma veste ! »

Ces palmes ne sont-elles pas aussi une sorte de revanche pour une enfant trop tôt privée de sa scolarité ?

« Complètement ! Durant la guerre, à l'école de Sompt, où j'ai eu une excellente institutrice, j'ai réussi à passer mon certificat d'études, ce qui n'était déjà pas mal à l'époque. Et puis, j'ai été déportée. A mon retour des camps, j'étais très malade et j'ai été soignée en Suisse durant 14 mois. J'avais presque 17 ans quand j'en suis revenue, mon niveau scolaire était inclassable. Je n'avais plus mes parents, je pouvais prétendre à une bourse. Je n'avais nulle possibilité de retourner à l'école. C'est vrai que je ressens ces palmes comme une forme de réparation. Quand j'étais petite et que je jouais avec mes amies à l'école, c'était toujours moi la maîtresse. C'était un rêve que la guerre a brisé. »

Avec ce travail de mémoire que vous accomplissez aujourd'hui devant les élèves, n'est ce pas une part de ce rêve qui s'accomplit ?

« Quand je suis en face de ces jeunes, je ne pense pas à ce dont je rêvais enfant, mais, en effet, je suis certaine que je leur transmets, leur enseigne quelque chose d'important. On peut dire que c'est une compensation. »

Après toutes ces années, n'y a-t-il pas une certaine lassitude à répéter cette même douloureuse part d'histoire ?

« Non, aucune lassitude. Les professeurs qui assistent à mes interventions qui durent une petite heure me disent souvent : " Avec toi, on apprend toujours quelque chose de nouveau ". Je n'ai jamais de notes, je ne prépare rien. Les élèves ne sont jamais les mêmes et j'adapte mon propos aux circonstances. Il y a tant de choses à dire, à raconter, je n'ai jamais assez de temps ! Et les questions qui me sont posées ne sont jamais les mêmes. »

Parmi elles, y en a-t-il une qui vous ait désarmée ?

« Un jour, une élève de 3e m'a demandé : " Madame, avez-vous regretté d'être juive ? " Une question désarmante. Il n'y a pas de réponse à cela. Je suis née juive, il n'y a rien à regretter. »

Vous allez bientôt fêter vos 84 ans, allez-vous continuer ce travail de passeuse de mémoire ?

« Depuis vingt ans, je fais en moyenne une cinquantaine d'interventions chaque année, il va falloir songer à réduire un peu, mais je continuerai aussi longtemps que ma santé me le permettra ! »

 A lire « J'ai pas pleuré », co-écrit par l'académicien Bertrand Poirot-Delpech et Ida Grinspan, publié en 2002, chez Robert Laffont, et réédité en Pocket Jeunesse en 2003.

entre nous

Ida, juste à point nommé

Comparaison n'est pas raison. Se référer systématiquement à l'Occupation et la Shoah pour comprendre ce qui se passe en 2013, peut trahir une paresse intellectuelle : chez certains, cette facilité dispense de l'effort nécessaire pour décrypter une réalité de plus en plus complexe, la nôtre, ici et maintenant. N'empêche. Cette semaine, Niort a crevé l'abcès d'une rumeur et l'on peut prendre le problème par tous les bouts, le pus qui s'en libère est d'essence raciste. Le hasard a voulu que ce soit précisément la semaine où l'on honore Ida Grinspan. Rapprochement facile ? Disons-le simplement : savoir qu'existe quelqu'un de la trempe d'Ida Grinspan, console de bien des choses.

nr.niort@nrco.fr

Propos recueillis par Fabien Bonnet
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