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Archéologie poitevine
14 juillet 2013

Au siège de l’Ermitage, fin du roi des Nitiobroges

Publié le 14/07/2013 à 06h00 Par christophe Lucet

En 38 av. J.-C., le général romain Marcus Agrippa s’empare de l’oppidum d’Agen

« C’est une pluie de projectiles qui tombe sur l’oppidum. »
« C’est une pluie de projectiles qui tombe sur l’oppidum. » (Dessin Laureline Mattiussi)

On les croyait vaincus par la conquête de Jules César. Pourtant, en cette année 38 avant Jésus-Christ, quatorze ans après la défaite de Vercingétorix à Alésia et dix-huit après la campagne victorieuse du général romain Crassus au sud de la Garonne, les Gaulois d’Aquitaine relèvent la tête. Et la rébellion inquiète Rome. Livrée à la guerre civile des factions qui a suivi l’assassinat de César en 44, la capitale de l’Empire a dû lâcher la bride à ses sujets de Gaule. Du Rhin à l’Aquitaine, la sédition gagne. À Lyon, le gouverneur Salvidienus Rufus a été assassiné. Rome se doit de réagir.

Octavien est le nouvel empereur. Et c’est son plus proche ami, Marcus Agrippa, qu’il choisit pour remettre de l’ordre de l’autre côté des Alpes. Agrippa est le numéro deux de l’Empire. Sur le Rhin, sa victoire lui vaut l’acclamation des soldats, et c’est en « imperator » qu’il marche vers la Garonne avec ses 10 légions, près de 50 000 fantassins, cavaliers, archers, frondeurs, disposés à affronter les farouches guerriers celtes. Chef militaire, Agrippa est aussi investi d’une mission civile : rouvrir et sécuriser les voies romaines et créer les infrastructures qui permettront enfin de romaniser la province irrédente.

Le voilà qui approche du pays des Nitiobroges, dont le territoire occupe la plaine garonnaise entre Volques et Cadurques au sud, Pétrocores et Santons au nord. Agrippa se méfie. Le temps n’est plus où le roi Ollovico, qualifié d’« ami du peuple romain » par le Sénat, était l’allié de César ; finie, l’époque où le général Crassus pouvait faire halte chez les Nitiobroges avant d’aller soumettre les Sotiates. Car lorsque Vercingétorix a sonné le rappel des Gaulois contre l’envahisseur, le fils d’Ollovico, Teutomatos, a tourné casaque et rallié le chef arverne, expédiant un contingent de 5 000 hommes pour la défense d’Alésia.

Ce retournement, Teutomatos et son peuple l’ont payé cher en avanies, impôts, confiscations de terres. Mécontents, les voilà de nouveau sur le sentier de la guerre, décidés à retrouver les coudées franches en profitant de l’affaiblissement des Romains. Ce Teutomatos n’est pas n’importe qui. À la tête d’un vaste domaine agricole de la plaine de Boé où l’on exhumera de sa tombe royale son char à deux roues, les harnais de ses chevaux, son casque d’airain et ses armes, le roi des Nitiobroges a la haute main sur un fructueux commerce de vin, denrée capitale pour les banquets et rituels qui assurent la cohésion sociale et religieuse de la tribu.

Et l’on connaît trop bien à Rome la valeur guerrière de ces hommes, leur bravoure lorsque, la cotte de mailles serrée sur la poitrine, brandissant épées et boucliers, ils fondent sur l’ennemi. De leur côté, les Nitiobroges ne sont cette fois guère enclins à se découvrir face à ce général auréolé de gloire dont Rome n’attend qu’une chose : qu’il plante fermement l’aigle des légions sur cette route stratégique - à la fois fluviale et terrestre - et de prospère commerce reliant la Narbonnaise à l’Atlantique.

Informé de l’avancée d’Agrippa, Teutomatos a choisi de protéger son fief et de se retrancher dans l’oppidum de l’Ermitage. Planté sur le coteau nord de la vallée, ce camp de 60 hectares ne le cède en rien à ceux de Bibracte ou de Corent. Avec ses palissades et ses fortins, l’Ermitage est une petite ville fortifiée où les soldats cohabitent avec tout un peuple d’artisans, de commerçants et d’esclaves. On y travaille le bronze, l’os et le verre, l’osier et le cuir, on y élève des animaux domestiques, on y stocke les denrées agricoles et l’on est capable d’y soutenir un siège.

Or, c’est bien cela qui se prépare. Car les guetteurs de l’oppidum ne tardent pas à repérer, dans le cortège des légions qui s’approchent avec leurs montures et leur barda, les redoutables machines de siège - tours, catapultes, béliers… - dont les Romains sont les spécialistes. Et lorsqu’une balle de fronde en plomb, ajustée par un frondeur romain, tue la première sentinelle gauloise sur le chemin de ronde, les Nitiobroges savent qu’ils vont devoir vendre chèrement leur peau.

De fait, c’est une pluie de projectiles qui tombe sur l’oppidum. Expédiés par une batterie de balistes, de lourds boulets en basalte s’abattent sur les fortins, les garnisons et les ateliers. Agrippa tient les environs, aucun renfort ne s’annonce, le spectre d’Alésia plane. Le siège s’organise, la bataille est féroce. Combien de temps les assiégés ont-ils tenu tête ? Assez longtemps pour que l’archéologie ait relevé l’abondance des projectiles retrouvés aux abords.

Quant à l’issue des combats, c’est l’historien Appien qui, au détour d’un récit sur les guerres civiles en Italie, mentionne « la grande victoire sur les Gaulois d’Aquitaine sous le commandement d’Agrippa ». À 30 kilomètres de l’Ermitage, le général d’Octavien a assiégé une autre place forte surplombant la Garonne, au Mas-d’Agenais. Tout indique qu’Agrippa, qui rentre en 37 avant J.-C. à Rome pour y recevoir un triomphe, a bel et bien réussi à raffermir pour de bon l’emprise romaine sur ce coin de Gaule.

Teutomatos est-il mort lors d’un assaut ? Il est sûr, en tout cas, que la chute de l’oppidum et son abandon définitif marquent l’ultime soubresaut et le crépuscule de l’indépendance gauloise sur les bords de Garonne. Moins de dix ans après la défaite des Nitiobroges, l’agglomération d’Aginnum, née en contrebas sur les bords du fleuve, connaît un essor que Burdigala, en aval, vit depuis déjà vingt ans. De Tolosa jusqu’à l’estuaire de Gironde, Rome a repris pour de bon le contrôle de l’axe reliant la Méditerranée au débouché atlantique. Quant aux Nitiobroges, d’après Teutomatos, ils se fondent doucement dans cette civilisation gallo-romaine que le ferme règne d’Auguste rendra irréversible.

Source de l'information et photographie : http://www.sudouest.fr/2013/07/14/au-siege-de-l-ermitage-fin-du-roi-des-nitiobroges-1114472-3603.php

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