Le Sénat adopte le "principe de précaution" sur le patrimoine de l'Etat
Le Sénat a adopté en première lecture, le 26 janvier, la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'Etat. Ce vote intervient quelques jours après l'annonce, par Nicolas Sarkozy, de l'abandon du projet de vente par l'Etat de l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris. Le texte adopté par les sénateurs n'a pas subi de changements importants par rapport à la rédaction initiale de la proposition de loi (voir notre article ci-contre du 2 décembre 2010). Son principe directeur - qui s'inspire du rapport du groupe de travail animé par Françoise Férat, sénatrice de la Marne (voir notre article ci-contre du 7 juillet 2010) - reste en effet d'instaurer une sorte de "principe de précaution" sur le patrimoine monumental de l'Etat, grâce à une procédure très encadrée et à la création d'un Haut Conseil du patrimoine. Celui-ci sera notamment chargé de se prononcer "sur l'opportunité de transfert à titre gratuit aux collectivités territoriales de monuments historiques classés ou inscrits appartenant à l'Etat".
S'il n'a pas modifié l'économie
générale du texte, le Sénat a cependant introduit un certain nombre de
précisions ou de dispositions nouvelles. Il a ainsi prévu une obligation
de motivation pour les avis rendus par le Haut conseil du patrimoine,
ainsi que la publication de ces derniers au Journal officiel. La
commission des affaires culturelles avait déjà, pour sa part, adopté un
article supplémentaire - confirmé en séance - introduisant plusieurs
obligations nouvelles dans le Code du patrimoine : possibilité de
classer un ensemble mobilier au titre des monuments historiques (ce qui
empêchera une éventuelle dispersion) et création d'une servitude de
maintien in situ dans un immeuble classé pour des objets ou des
ensembles historiques mobiliers classés ayant un tel lien historique ou
artistique avec cet immeuble qu'il donne à l'ensemble une cohérence
exceptionnelle. Les sénateurs ont par ailleurs précisé que les
collectivités territoriales ou groupements candidats à la reprise d'un
monument historique de l'Etat devront indiquer, dans leur dossier de
candidature, les modalités de gestion envisagées pour ce bien
(délégation de service public, partenariat public-privé...). Ils ont
également adopté un amendement du gouvernement qui réécrit les
dispositions relatives aux modalités de compensation des charges de
fonctionnement du monument transféré, dont celles correspondant au
transfert de personnels. Cette nouvelle rédaction aligne ces
dispositions sur celles prévues par la loi du 13 août 2004 relative aux
libertés et responsabilités locales au titre du transfert des monuments
historiques aux collectivités territoriales. Elle supprime aussi la
compensation relative aux charges d'investissement, dans la mesure où
celles-ci sont susceptibles de faire l'objet de subventions de l'Etat
dans le cadre du programme de travaux éventuels défini par la convention
de transfert.
Le gouvernement a fait adopter deux autres amendements. Le premier opère
une simplification dans l'organisation de la gestion du patrimoine. Il
supprime en effet - pour des raisons de cohérence administrative et
scientifique - les commissions départementales des objets mobiliers
(CDOM, créées en 1971) et transfère leurs compétences aux commissions
régionales du patrimoine et des sites (CRPS), instituées en 1999 et à la
vocation plus large. Le second amendement supprime le gage financier
consistant en une taxe additionnelle au prélèvement sur les recettes
tirées des jeux en ligne et le remplace par une disposition prévoyant
que "l'entrée en vigueur du transfert des monuments historiques en
application de la présente loi est subordonnée à l'inscription en loi de
finances des compensations prévues à l'article 8".
[proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'Etat (adoptée en première lecture par le Sénat, le 26 janvier 2011).]
Et comme un parfum de ZPPAUP
Le Sénat a également adopté, à
l'initiative de la commission des affaires culturelles, un article
additionnel qui introduit, dans le Code du patrimoine, un article
précisant que "la conservation et la mise en valeur du patrimoine
culturel, dans ses qualifications historique, archéologique,
architecturale, urbaine et paysagère sont d'intérêt public". Cette
pétition de principe a pour conséquence que "les collectivités publiques
intègrent le patrimoine culturel dans leurs politiques et leurs actions
d'urbanisme et d'aménagement, notamment au sein des projets
d'aménagement et de développement durable établis en application des
articles L.122-1-1 et L.123-1 du Code de l'urbanisme, afin d'en assurer
la protection et la transmission aux générations futures". Les articles
visés du Code de l'urbanisme concernent respectivement les schémas de
cohérence territoriale (Scot) et les plans locaux d'urbanisme. Même si
elle n'a pas vraiment de valeur contraignante, cette disposition résonne
comme un hommage posthume aux zones de protection du patrimoine
architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), transformées par le Grenelle
2 en "aires de mise en valeur de l'architecture du patrimoine"
nettement moins protectrices. Le même article additionnel prévoit aussi
que, dans les zones couvertes par un classement au patrimoine mondial de
l'Unesco, "l'impératif de protection de sa valeur universelle
exceptionnelle ainsi que le plan de gestion du bien et de sa zone tampon
qui assurent cet objectif sont pris en compte dans les documents
d'urbanisme de la ou les collectivités concernées". Dans les zones
correspondantes, l'Etat peut, à tout moment, mettre en œuvre les
procédures exceptionnelles prévues en matière d'archéologie préventive,
de classement sans formalité préalable au titre des monuments
historiques, de règles applicables aux Scot dans le cadre de territoires
présentant des enjeux nationaux, de prise en compte sous le contrôle de
l'Etat d'un projet d'intérêt général ou encore de possibilité, pour le
préfet, de demander la fixation ou l'extension d'un Scot.