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Archéologie poitevine
30 avril 2014

France 1944: la fabrique des enfants parfaits

Par , publié le 06/07/2009 à  16:09, mis à jour le  05/12/2012 à  08:19

Entre février et la Libération, en août, un manoir de l'Oise a  abrité l'unique Lebensborn créé par les nazis en France. L'Express a retrouvé  plusieurs personnes nées dans ces maternités où une " race supérieure " devait  voir le jour. Voici leur histoire.   

   

France 1944: la fabrique des enfants parfaits  

LAMORLAYE - Le 6 février 1944, "Westwald" (forêt de l'ouest),  l'unique maternité SS en France, est inaugurée  à Lamorlaye, à 40 kilomètres au  nord de Paris. Vingt-trois enfants "de pure race nordique" verront le jour dans  ce manoir réquisitionné dès 1940 par l'occupant. JPGuilloteau/L'Express

Le carillon de la pendule tinte dans le salon : 14 heures. Assis devant une  tasse de café, cheveux blancs mi-longs, le regard bleu un peu perdu, Erwin  Grinski tire sur son cigarillo et se lance. Cette histoire, ce mécanicien à  la retraite ne l'a jamais racontée. A personne. "Le peu que je sais, je le tiens  de ma mère, prévient-il avec son accent chantant du Midi. Elle ne répondait pas  à mes questions mais, deux ou trois fois, elle m'a lâché un détail." Elisabeth Grinski est décédée en 2007. Depuis, Erwin, 65 ans,  divorcé, vit seul avec son secret, dans un appartement HLM un peu défraîchi, en  Avignon. Ce secret, celui de sa naissance, renvoie à l'un des projets les plus  effrayants entrepris par les nazis: des maternités, les Lebensborn ("source de  vie" en vieil allemand), où devaient naître des enfants "parfaits", grands,  blonds aux yeux bleus. La future élite du IIIe Reich. 

> Lire aussi: Comptes secrets pour enfants parfaits 

Erwin a vu le jour le 21 mai 1944, à Lamorlaye (Oise), à 40 kilomètres au  nord de Paris. Là, au manoir de Bois-Larris, caché dans la forêt de Chantilly,  les SS avaient installé l'une de ces maternités. On y accueillait des femmes  enceintes de SS ou de membres des services de police nazie. Les deux parents,  soumis à une rigoureuse sélection, devaient correspondre aux critères raciaux  "aryens" définis par le régime hitlérien. L'objectif était de créer une race  "supérieure de Germains nordiques". 

L'organisation Lebensborn a commencé à fonctionner à partir de 1935 en  Allemagne. Puis, pendant la guerre, les nurseries SS ont essaimé en Norvège, en  Autriche, en Pologne, au Luxembourg, en Belgique et... en France. Le foyer  Westwald ("forêt de l'Ouest" - en fait la forêt de Chantilly), à Lamorlaye, fut  ainsi l'unique pouponnière nazie ouverte sur le sol français. Son histoire reste  malgré tout méconnue: seuls deux livres d'historiens, l'un publié en 1975,  l'autre cette année, lui consacrent quelques pages. En 2004, l'Association  Lamorlaye mémoire et accueil a organisé une conférence sur le sujet, mais sans  pour autant apporter de nouveauté. 

Erwin Grinski (ici en 2009) est né le 21 mai 1944 à la maternité SS de Lamorlaye (Oise). Il a ensuite passé les derniers mois de la guerre, réfugié à Dortmund avec sa mère Elizabeth. Rapatrié en France en 1946, il n'a appris l'identité de son père, un soldat allemand, qu'à l'âge de 43 ans. En 2009, il nous confiait, pour la première fois, le mystère de ses origines.     

Erwin Grinski (ici en 2009) est né le 21 mai 1944 à la  maternité SS de Lamorlaye (Oise). Il a ensuite passé les derniers mois de la  guerre, réfugié à Dortmund avec sa mère Elizabeth. Rapatrié en France en 1946,  il n'a appris l'identité de son père, un soldat allemand, qu'à l'âge de 43 ans.  En 2009, il nous confiait, pour la première fois, le mystère de ses origines. 

L'Express est parti à la recherche des enfants français des Lebensborn, des  hommes et des femmes aujourd'hui âgés d'au moins 65 ans. Retrouver leur trace  n'est pas évident. Leurs noms de famille ont parfois été modifiés pour brouiller  les pistes, quand ils furent emmenés à la hâte en Allemagne, à la fin de 1944.  Certains, rapatriés après la guerre, ne connaissent même pas leurs véritables  origines. Ou ne veulent pas les connaître. Un rapport établi en 1948 par les  services français en Allemagne, que nous avons pu consulter, permet toutefois  d'affirmer que "23 enfants sont nés" ou ont transité à Lamorlaye. "Le nombre de  femmes y ayant séjourné n'a pas dépassé 21", précise le document. A cette  époque, trois bébés étaient morts en bas âge. Parmi les 20 autres enfants, nous  avons retrouvé sept noms : Ingrid, Helga, Edith, Gérard, Jean-Pierre... Deux  sont décédés: Ingrid et Songard. Quatre autres n'ont pu être localisés. Le  septième nous a reçus: Erwin Grinski. 

Sa mère, Elisabeth, s'est retrouvée à Lamorlaye par un terrible enchaînement  de circonstances. Née dans une famille de mineurs polonais venus s'installer  dans le Gard en 1921, elle ne parlait qu'allemand, comme la plupart des  habitants de Poméranie occidentale. En 1941 ou 1942, la jeune femme monte à  Paris. Elle travaille d'abord dans un orphelinat avant, semble-t-il, de devenir  interprète au service de l'occupant. C'est ainsi qu'elle aurait rencontré Erwin Schmidt, un officier originaire des Sudètes.  Travaillait-il pour la Croix-Rouge allemande? C'est en tout cas ce qu'elle  racontera, bien plus tard, à leur fils, également prénommé Erwin. L'unique trace  de son séjour à Lamorlaye figure dans les registres d'état civil de la commune:  Elisabeth Grinsky a reconnu l'enfant le 31 mars 1948. La date  de naissance a été ajoutée au crayon à papier. 

Les Français? Un peuple abâtardi, racialement  sans intérêt

Le projet d'ouvrir une maternité SS en France avait germé dans l'esprit des  nazis au printemps de 1942. "Jusqu'alors, ils considéraient les Français comme  un peuple abâtardi, issu de sang mélangé et donc racialement sans intérêt",  précise l'historien Fabrice Virgili, auteur de Naître ennemi (Payot,  2009), un livre consacré aux enfants franco-allemands conçus pendant la guerre.  Leur position évolue en 1942, en raison de la multiplication des naissances. "A  cette date, en France, 50 000 enfants étaient déjà nés de père allemand",  indique Fabrice Virgili. Même le jugement sur les Français change: certaines  femmes du Nord sont désormais considérées comme " aptes " à procréer des Aryens.  Le 29 mai 1942, le secrétaire d'Etat à la Santé du Reich, Leonardo Conti, écrit au Reichsführer SS Heinrich Himmler:  "Ces enfants ne sont pas mauvais [...]. Je propose que le Lebensborn [s'en]  occupe énergiquement." 

Interdiction formelle d'approcher du  manoir

Reste à trouver un lieu adéquat : proche de Paris, mais suffisamment retiré,  dans un cadre champêtre, bénéfique pour les petits "pensionnaires". Le choix se  porte sur le manoir de Bois-Larris, une jolie demeure de style anglo-normand,  avec écuries et dépendances. Cette propriété, réquisitionnée à la famille Menier  (celle des chocolats), est occupée par la SS depuis 1942. 

La suite de l'histoire oblige à se plonger dans les archives du Service  international de recherches de la Croix Rouge (SIR). A Bad Arolsen, une petite  ville de Hesse, le SIR conserve 50 millions de documents, concernant 17,5  millions de victimes du nazisme. Dans la salle de lecture, le visiteur est prié  d'enfiler des gants de tissu blanc pour manipuler les feuillets jaunis, à  en-tête du Lebensborn et de l'état-major SS. Une vingtaine de courriers et de  télégrammes évoquent le foyer Westwald de Lamorlaye. Le 2 novembre 1943,  l'Oberführer SS Gregor Ebner, médecin en chef des Lebensborn, spécialiste de la  " sélection raciale " et ami personnel de Heinrich Himmler, écrit au commandant  Fritze, tout juste nommé responsable de l'établissement : "Le lieu devra être  aménagé à la manière du foyer de Steinhöring [la maison mère, en Bavière].  J'espère pouvoir venir à Paris au cours de l'hiver [1943-1944]." Faute de temps,  Ebner ne pourra pas honorer ce rendez-vous. Finalement, Westwald sera inauguré  le 6 février 1944. 

Le 10 août 1944, face à l'avancée des alliés, ce télégramme adressé à l'Etat-major de Himmler annonce l'évacuation de la maternité de Lamorlaye. Les bébés qui s'y trouvent encore sont emmenés en Allemagne.     

Le 10 août 1944, face à l'avancée des alliés, ce télégramme  adressé à l'Etat-major de Himmler annonce l'évacuation de la maternité de  Lamorlaye. Les bébés qui s'y trouvent encore sont emmenés en Allemagne.

ITS

La plupart des femmes accueillies ici sont françaises, comme la maman de la  petite Edith de V., née le 11 avril 1944. Mais il y a aussi quelques étrangères.  Ainsi, la mère de Helga M., née le 20 juin 1944, est une Flamande, enceinte d'un  SS belge; celle d'Ingrid de F. (31 juillet 1944) est probablement néerlandaise.  Par souci de discrétion, elles préfèrent accoucher dans un Lebensborn éloigné de  leur région ou de leur pays d'origine. Toutes vivent en communauté dans cette  maternité gardée en permanence. Il est formellement interdit d'approcher du  manoir perché sur les coteaux. "Pourtant, à Chantilly, beaucoup de gens savaient  qu'il y avait une nurserie nazie, là-haut, et que les Allemands recrutaient de  grandes femmes blondes pour faire des enfants aryens", raconte Michel Bouchet, 83 ans, ex-journaliste hippique qui habite  toujours dans les environs. 

La vie quotidienne à Westwald, c'est l'Oberführer SS Gregor Ebner lui-même  qui l'évoque dans un rapport de trois pages dactylographiées, après sa visite  d'inspection du 24 avril 1944. Passant en revue les lieux et le personnel, il  écrit: "Les chambres non attribuées ont été correctement reconverties et servent  de salle d'accouchement, note-t-il. Une activité impressionnante règne au  rez-de-chaussée, où se trouvent la salle de visite, les chambres des mères et le  réfectoire." En revanche, le matériel laisse à désirer: les meubles sont de  mauvaise qualité, les berceaux "sont fabriqués dans un matériau très sommaire,  ce qui les rend dangereux ". 

Autre problème: la maternité est mal gérée. Son responsable, le commandant  Fritze, passe son temps à Paris et ne vient "qu'une ou deux fois par semaine".  Surtout, une querelle oppose le sergent SS Grünwald et son épouse - qui veillent  sur le domaine depuis l'hiver 1943 - au reste du personnel, le régisseur SS  Engelien, l'infirmière en chef, Josefa Knoll, la sage-femme et les trois autres  infirmières. Gregor Ebner termine cependant son rapport sur une note positive:  "Les six mères présentes à Westwald font bonne impression sur le plan racial et  pour ce qui concerne leur intégration. Les quelques enfants du foyer sont en  bonne santé, seul un d'entre eux laisse apparaître une légère dégénérescence."  Erwin Grinski, né en mai, ne restera pas longtemps à Lamorlaye. Quelques  semaines plus tard, ses parents partent en effet avec lui vers Dortmund. "Nous  avons passé les derniers mois de la guerre dans cette ville, terrés dans des  abris souterrains, pour échapper aux bombardements alliés",  raconte-t-il. 

La quête sans fin d'une famille

Pour les enfants des Lebensborn, la recherche de leurs origines est une quête  vertigineuse. Certains d'entre eux, rendus à leur mère après guerre, ont obtenu  ainsi des bribes d'informations sur leur père. D'autres, de parents inconnus,  ont été confiés à l'assistance publique ou adoptés, et cherchent à " savoir ".  C'est le cas de Walter Beausert et de Gisèle Niango. 

Nés au Lebensborn de Wégimont (Belgique), ils sont français depuis 1947,  après leur rapatriement - par erreur - en France. Tous deux ont appris  l'existence de ces maternités en ouvrant leur dossier personnel à la Ddass (ex-  Assistance publique). Depuis, ils ont sillonné la France, la Belgique,  l'Allemagne, pour suivre des pistes, vérifier des hypothèses, souvent floues. "  Beausert n'est peut-être même pas mon vrai nom et je pense être né en juin 1943  plutôt que le 1er janvier 1944 ", explique Walter, en regardant une photo prise  en 1945, par les Américains, à Indersdorf (Allemagne). Sur le cliché, un  blondinet blessé à l'oeil fixe le photographe. C'est lui.  

En 1993, il retrouve en Belgique une femme nommée Rita P., qu'il pense être  sa mère. " Elle ne me l'a jamais dit, mais elle m'a donné tant d'indices... "  Walter connaît aussi l'identité de son père allemand, un certain Hugo  Lunderstedt. Rita, elle, est décédée en 1998.  

De son côté, Gisèle Niango - bébé, elle s'appelait Gizela Magula - a  identifié une partie de sa famille maternelle, également en Belgique. Elle  croyait avoir ainsi découvert le nom de sa mère jusqu'au moment où, en avril  2009, un nouveau document lui a démontré qu'il y avait erreur sur la personne.  Gisèle a fini par trouver la véritable identité de sa mère en 2010.    

En ce printemps 1944, les Lebensborn, qui sont d'ordinaire bien  approvisionnés, connaissent des pénuries. L'Oberführer SS Gregor Ebner s'en  inquiète dans une note du 2 mai: "La plupart des foyers manquent de solution  vitaminée [pour les enfants]. Ils manquent de produits alimentaires de toutes  sortes, comme la semoule, le riz, les flocons d'avoine et le cacao." Le manoir  de Lamorlaye est au plus mal, lui aussi. Surtout après le débarquement allié en  Normandie, le 6 juin. Engelien, le régisseur, est si préoccupé qu'il alerte  Ebner: Fanny M., la sage-femme, a "appris la nouvelle de l'invasion [le  débarquement] et en a informé les mères". De plus, elle passe toute la journée  dans sa chambre, vu "le peu d'accouchements qui se produisent". Quant au  commandant Fritze, il est toujours aux abonnés absents. Autre souci: il devient  de plus en plus difficile de nourrir correctement les 12 bébés encore présents.  "Le jardin ne fournit pas assez de carottes et d'épinards", relève Ebner. A son  tour, celui-ci informe son supérieur, le colonel SS Max Sollman,  l'administrateur en chef des Lebensborn. Les jours de la maternité sont  comptés... 

7 août 1944. Le commandant Fritze sait qu'il est temps de filer. De Paris il  envoie un télégramme de cinq lignes à l'état-major personnel de Heinrich  Himmler, à Berlin: "Evacuation du foyer Westwald prévue le 10 août, sous la  direction du sous-lieutenant SS Decker. Le mobilier sera transporté par train  jusqu'à Munich [...]."  

Des bambins transbahutés d'une maternité nazie à  l'autre

C'est ainsi qu'une semaine avant la libération de Paris la maternité ferme en  urgence. Ses pensionnaires - une dizaine d'enfants, dont Edith de V., Helga M.,  Gérard S., né le 28 juin ou Ingrid de F., âgée d'à peine 10 jours, ainsi que  quelques mères volontaires - sont transférés au Lebensborn Taunus de Wiesbaden,  près de Francfort. Début septembre, une dizaine d'autres bébés, évacués du  Lebensborn Ardennen, de Wégimont (Belgique), les y rejoignent. Parmi ces  derniers se trouvent Gisèle Niango et Walter Beausert. 

Au fil de la débâcle, ces bambins sont transbahutés d'une maternité nazie à  l'autre. Leur périple à travers le Reich s'achève le 3 avril 1945, à  Steinhöring, près de Munich. C'est là, dans la maison mère, ouverte dix ans plus  tôt, que des soldats américains découvrent, au début de mai 1945, environ 300  enfants et une poignée de mamans livrés à eux-mêmes. Les maîtres de  l'organisation ont pris la fuite après avoir brûlé les archives. Pour identifier  les gosses, il ne reste que des fiches très succinctes. Un prénom germanique, un  patronyme, parfois modifié, une date de naissance, le nom de code du lieu où ils  ont vu le jour : Westwald, Ardennen... Les petits, confiés à une équipe de  secours des Nations unies (l'Unrra), sont regroupés et soignés dans un couvent  désaffecté. Le 14 décembre 1945, le père Ludwig Koeppel, curé de Steinhöring, les baptise  collectivement. Photographiés, reconnus, certains sont rendus à leur mère.  D'autres sont rapatriés, un an plus tard, vers leur pays d'origine. Du moins le  croit-on. Car plusieurs bébés belges et néerlandais, nés à Wégimont ou à  Lamorlaye, sont envoyés par erreur en France. 

Aux mois d'août et octobre 1946, deux trains affrétés par la Croix-Rouge, en  provenance d'Allemagne, s'arrêtent ainsi à Bar-le-Duc (Meuse). Sur les 37  enfants confiés aux services locaux de l'Assistance publique, 17 sont encore  bébés. Un an plus tard, la justice décide de les déclarer "nés à Bar-le-Duc".  Les prénoms trop allemands sont francisés. Ingrid s'appellera Irène, Gizela sera  Gisèle, Songard et Ute deviennent Dominique... Plusieurs d'entre eux sont  accueillis par des familles de la région, certains sont adoptés. Tous gardent en  mémoire les injures des autres gamins, voire de l'instituteur: "A l'école, on me  traitait de 'sale boche'", raconte Gisèle Niango, 65 ans, de Nancy. Nous sommes  déchirés entre le fait d'être des victimes innocentes et la honte d'avoir été  conçus pour servir cette idéologie monstrueuse." 

En 1946, Erwin a 2 ans à peine quand il est rapatrié en Avignon et récupéré -  avec son nom inscrit sur un écriteau accroché autour du cou - par l'une de ses  tantes. Sa mère les rejoint un an plus tard. Erwin n'a plus jamais revu son  père. Il a découvert son nom par hasard, en 1987, en tombant sur son propre  certificat de baptême, daté de 1945. Le document mentionnait ceci: "Père: Erwin  Konstant Johannes Schmidt." "Ma mère me l'a arraché des mains avant de  le déchirer et de le jeter au feu", poursuit Erwin. 

Jamais reconnus en tant que victimes

A l'adolescence, il faisait le coup de poing quand on se moquait de son  physique, mais personne n'a jamais eu connaissance de ses origines. "Ma mère  m'avait fait jurer de ne jamais raconter que mon père était allemand. Elle ne  voulait pas que j'apprenne cette langue", souffle-t-il. Je ne dois pas être tout  seul dans ce cas. Souvent je me demande où sont passés les autres enfants...  "Pour la première fois depuis le début de son récit, une larme coule sur son  visage. Pourquoi être ainsi sorti du silence? "Peut-être que quelqu'un me  reconnaîtra." Quelqu'un capable de le faire sentir moins seul avec son histoire.  Quelqu'un capable de lui répéter que les bébés des Lebensborn - jamais reconnus  en tant que victimes - ne sont coupables de rien. Nés d'un père SS ou non, ils  n'étaient que des enfants. 

" Des géniteurs grands, blonds, aux yeux bleus  "

La procréation d'enfants de " pure race aryenne " dans les Lebensborn est au  coeur même du fanatisme eugéniste des idéologues SS. L'historien allemand Georg  Lilienthal, spécialiste du sujet, y voit le résultat d'une stratégie double : "  D'un côté, éliminer les êtres considérés comme ?inférieurs?, ce qui a conduit à  l'extermination des juifs et des Tsiganes ; de l'autre, renforcer une supposée  élite raciale en sélectionnant des géniteurs grands, blonds, aux yeux bleus.  " 

En 1935, la première maternité de ce type est ouverte à Steinhöring  (Bavière). Heinrich Himmler, qui rêve de fonder un Etat SS peuplé de 120  millions de Germains nordiques, place l'institution sous son autorité. La  direction est confiée au colonel SS Max Sollman, administrateur en chef, et à  l'Oberführer SS et médecin Gregor Ebner, chargé de la sélection. Le but est  d'éviter 1million d'avortements annuels, en permettant à de futures filles-mères  d'accoucher en secret. C'est l'un des aspects les plus mystérieux du programme :  les naissances ne sont pas déclarées à l'état civil, l'identité du père est  cachée. 

Les maternités accueillent des femmes enceintes de membres de l'ordre noir  SS, éventuellement de cadres de la Wehrmacht et du Parti nazi. Les SS, en  particulier, se doivent d'avoir une nombreuse progéniture, y compris hors  mariage. Ces enfants sont " offerts " à Hitler et confiés à des familles  d'adoption. Plus tard, ils constitueront l'élite d'un IIIe Reich censé durer  mille ans... 

Objets de multiples fantasmes, " les Lebensborn n'étaient ni des haras  humains ni des bordels, poursuit Georg Lilienthal. Ils prétendaient être des  établissements modèles, exploitant du matériel génétique ". En 1940, on en  compte 10 en Allemagne. D'autres sont créés durant la guerre : 9 en Norvège -  sanctuaire supposé de la " race nordique " - 3 en Pologne, 2 en Autriche, 1 au  Danemark, aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en France. Environ 9 000  SS-kinder (enfants SS) seraient nés en Norvège, presque autant en Allemagne,  quelques centaines ailleurs. 

Les responsables du Lebensborn, obsédés par le fait de récupérer le " sang  aryen " disséminé en Europe, ont aussi kidnappé près de 200 000 enfants en  Pologne. Ils furent placés dans des familles, envoyés au front ou contraints au  travail forcé. En 1947-1948, Sollman, Ebner et leurs complices ont été jugés à  Nuremberg, mais le tribunal allié n'a pas retenu le " caractère criminel " du  Lebensborn : ils furent libérés à l'issue du  procès

Article provenant de : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/france-1944-la-fabrique-des-enfants-parfaits_763222.html

 

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